En juillet 2020 sort Ghost of Tsushima, un jeu qui propose une vision du Japon féodal très réaliste tout en apportant sa patte personnelle, résolument cinématographique. Développé par Sucker Punch, le titre reçoit de nombreux éloges pour son histoire, sa bande-son ou encore sa représentation du pays. Cinq ans plus tard, sa suite arrive sur les dernières consoles de salon et, avec elle, une énorme pression : faire mieux que son prédécesseur, qui avait poussé la PlayStation 4 dans ses retranchements, tout en corrigeant les défauts de son gameplay. Nous avons pu tester Ghost of Yōtei pendant un mois entier, et nous pouvons vous le dire sans langue de bois : la claque attendue n’est pas forcément là où vous le pensez.
Test réalisé sur PS5 à l’aide d’une copie envoyée par l’éditeur
Les fantômes du passés
Malgré un nom assez similaire, Ghost of Yōtei ne partage avec Ghost of Tsushima que sa vision du Japon, et plus particulièrement celle de l’ère Edo, qui se tourne doucement vers la fin des samouraïs. Adieu Jin Sakai, place à Atsu, mercenaire vagabonde dont l’envie de venger sa famille assassinée dicte son cœur. C’est à travers une première cinématique très bien réalisée que l’on découvre les convictions de l’héroïne : éliminer les six Yōtei, un gang de samouraïs ayant tué sa famille sous ses yeux et l’ayant laissée pour morte.
Après avoir passé des années dans le Sud et appris le maniement des armes dans l’armée, Atsu revient sur les terres du mont Yōtei, dans la région d’Ezo, à la recherche des meurtriers. Nous faisons ainsi connaissance avec le personnage lorsqu’il arrive dans un petit village pour confronter l’un des membres du gang : un mercenaire nommé le Serpent. Cette première partie, faisant office de tutoriel assez simple, se termine dans un bain de sang avec une Atsu terriblement blessée, mais dont la rage lui permettra de continuer sa quête. Une vision d’horreur qui terrifie les habitants, lesquels, à l’instar de Jin, surnommeront ces guerriers les Onrio de Yōtei.
Difficile de ne pas comparer Ghost of Yōtei avec son prédécesseur, qui nous avait introduits au jeu à grand renfort de batailles épiques et grandioses, là où Ghost of Yōtei propose une approche rappelant davantage un western. Cette sensation, bien qu’étrange dans les premières heures, fera la force de ce nouvel épisode. Le premier nous offrait un samouraï pouvant respecter les règles et un code d’honneur ; Ghost of Yōtei nous met, lui, réellement dans la peau d’une mercenaire solitaire, froide et sans scrupules.
Déroutant mais efficace : nous nous lierons d’affection avec Atsu uniquement à travers son passé, distillé tout au long de l’aventure. Toutefois, certaines mécaniques de gameplay reprises du premier épisode seront expliquées au chausse-pied, ce qui risque de déplaire aux fans de la première heure. On note cela surtout dans l’utilisation du vent directeur ou du grappin, présentés via une explication rapide, comme pour nous faire accepter ces mécaniques sans trop réfléchir. S’ils étaient déjà là dans le premier épisode, ils le sont dans le second, point barre.
Nous retrouvons ainsi une trame narrative assez similaire, reposant surtout sur l’idée de vengeance, poussée à l’extrême avec, non pas un grand méchant, mais bel et bien cinq nouveaux antagonistes. Moins charismatiques que Khotun Khan, les six Yōtei proposent chacun une histoire unique autour de la chute des samouraïs et de la manière dont ils vivent une trahison ou l’extermination d’un clan. On regrettera un peu cette similitude de scénario avec Assassin’s Creed Shadows, même si les deux jeux traitent leurs personnages de façon très différente. Car, à la manière des habitants, nous ne comprendrons pas immédiatement les motivations réelles d’Atsu, qui se verra questionnée tout au long de son périple et de ses rencontres.
C’est donc à travers les yeux des autres et des habitants, que les grands méchants se développeront. Une approche intéressante, qui nous pousse davantage à écouter les PNJ et à observer le monde qui nous entoure. Pour autant, un tel choix scénaristique, dans un jeu proposant une durée de vie de presque quarante heures, pourrait en faire décrocher plus d’un. Mais pour les plus téméraires, qui aiment explorer et prêter attention aux petits détails, Ghost of Yōtei est un vrai régal et déroule le tapis rouge.
Avec son scénario profond, parfois mélancolique, on en regretterait presque son gameplay. Les nouveaux venus seront ravis de découvrir l’art de manier les lames, les anciens retrouveront exactement ce qu’ils ont connu dans Ghost of Tsushima, à l’exception de quelques nouvelles armes. Pour autant, cette partie ne gâchera pas totalement l’aventure, mais elle pourra être l’une des raisons pour lesquelles vous continuerez à explorer le monde proposé par Sucker Punch.
Retour en terrain connu
Si vous vous attendiez à une révolution du gameplay, Sucker Punch propose plutôt une évolution par rapport à celui de Ghost of Tsushima. Nous retrouvons ainsi les mêmes mécaniques d’armes, à utiliser contre les bons adversaires : un katana contre un katana, des doubles lames contre les lances ou encore un nodachi contre les ennemis plus lourds. Cette mécanique, déjà efficace sur le papier, l’est d’autant plus grâce à un nouvel arbre de compétences, repensé et bien plus fourni que celui de son prédécesseur. Chaque branche possède sa propre spécialisation, et chaque arme également, offrant un arbre en trois niveaux : les techniques d’armes au nombre de six, les techniques de personnage au nombre de trois et les techniques de compétences au nombre de quatre. Avec autant de points à distribuer, Ghost of Yōtei permet de créer la mercenaire qui nous correspond le mieux. Cerise sur le gâteau : les mouvements d’Atsu, très chorégraphiques, offrent des combats encore plus palpitants, surtout en difficulté Lethal.
Concernant les ennemis, on ne retrouvera pas tant de nouveautés que cela, mais ils restent agréables à affronter. La véritable nouveauté de gameplay vient surtout de l’époque choisie, avec l’arrivée des Portugais et des armes à feu. Ainsi, Atsu comme ses adversaires peuvent utiliser des armes efficaces mais bruyantes, longues à recharger, capables cependant de mettre le feu aux poudres lors des combats. Si, comme nous, vous recherchez de la difficulté, nous vous conseillons de jouer en mode Lethal ou de personnaliser votre propre niveau de challenge. C’est l’une des nouveautés par rapport au premier épisode, permettant à chacun de profiter du titre à travers l’expérience qui lui convient.
Une ombre parmis les vivants
Se concentrer uniquement sur le gameplay des combats serait un véritable gâchis au regard de la vraie nouveauté qu’apporte Ghost of Yōtei : l’immersion. Sucker Punch Productions a souhaité faire de son titre un véritable voyage dans le temps en poussant le curseur de l’immersion encore plus loin. Les PNJ interagissent, se promènent sur la carte et peuvent interpeller Atsu pour lui demander de l’aide. Un panneau de quêtes présent que vous pouvez consulter permet aux mercenaires de gagner un peu d’argent en chassant les malandrins. Le monde s’en retrouve ainsi plus vivant, plus crédible. Il sera même possible d’utiliser une forge, de pêcher ou encore de peindre des estampes, cette dernière activité remplace les compositions de haïkus de Jin Sakai. À cela s’ajoute désormais la possibilité d’installer un petit campement où l’on désire, à condition que le cheval soit à proximité.
Pour accentuer encore l’immersion, l’installation d’un feu de camp demande d’utiliser le pavé tactile de la manette pour imiter les mouvements du silex, tandis que la fonction gyroscopique sert à cuire la nourriture une fois le feu allumé. Toutes ces petites attentions, facultatives mais soignées, ajoutent de la crédibilité au monde qui nous est offert. Parfois, lorsque la nuit tombe, certains PNJ rejoignent votre campement pour discuter ou, plus rarement, vous affronter. En dehors de ces interactions, elles permettent surtout de récolter des informations sur les membres du gang des Six Yōtei à abattre : où ils se trouvent, qui ils sont, comment ils se battent… transformant ainsi cette quête de vengeance en véritable chasse à l’homme, le tout accompagné d’un féroce compagnon.
Atsu ne sera pas seule dans cette chasse : entrevue dans les cinématiques, une louve viendra lui prêter main-forte. Cette nouvelle mécanique permet d’obtenir un allié permanent au combat, à condition de remplir certaines tâches spécifiques liées à son obtention. Une fois la confiance gagnée, la louve mettra à profit ses talents de chasseuse pour exécuter des ennemis plus facilement lors de duels, maîtriser certains adversaires pour vous permettre de les abattre ou encore tuer discrètement une cible. À la manière d’Atsu, l’utilisation de la louve est régie par son propre arbre de compétences, qui détermine ses conditions d’apparition et les attaques qu’elle peut effectuer. Plus qu’un simple gimmick, ce compagnon de voyage est aussi au cœur de l’histoire, et il sera même possible, à terme, de lui donner un petit nom.
Si vous êtes friands de vibrations, Sucker Punch Productions a réalisé un travail de titan pour exploiter pleinement la manette de la PlayStation 5. À la manière d’un Astro Bot, pensé pour démontrer les capacités de la manette, Ghost of Yōtei utilise cette technologie pour nous ancrer davantage dans son univers. Chaque pas dans l’herbe ou la boue, chaque trot de cheval se ressent, tandis que la gestion de la pression sur les gâchettes lors d’un tir à l’arc accentue la puissance de certains tirs, et le micro interne de la manette ajoute un petit plus lors des impacts d’armes. Une option très plaisante dans les premières heures mais qui peut rapidement devenir redondante.
Il reste possible de réduire la quantité de vibrations ou de retour haptique dans les options. Celles-ci sont d’ailleurs suffisamment complètes pour personnaliser au maximum votre expérience : mode Qualité ou Performance, modification de la colorimétrie en mode Kurosawa, et bien d’autres. Ce mode, déjà présent dans Ghost of Tsushima, s’accompagne désormais d’autres options axées sur un aspect plus cinématographique, toujours inspirées des grands noms du septième art. Comme pour le mode Lethal, nous vous conseillons de n’activer cette palette colorimétrique qu’une fois le jeu terminé : il serait dommage de passer à côté des magnifiques paysages de la région.
Un saut dans le passé
L’histoire s’écrit autant à travers ses habitants que par l’exploration du passé d’Atsu. Dispersées un peu partout sur la carte, des bulles temporelles permettent à la mercenaire de revivre des instants importants, comme l’apprentissage de la forge ou du shamisen auprès de sa mère. Ces petits moments de paix sont parfaits pour comprendre la manière de penser du personnage, mais aussi pour découvrir comment elle a acquis une telle maîtrise de la lame. Profitant du SSD de la console, ces passages temporels s’enchaînent sans temps de chargement et peuvent être explorés librement. Attention cependant : ils se déroulent uniquement dans de petites zones, mais offrent suffisamment d’espace pour contempler un instant figé dans le temps. Ne vous attendez toutefois pas à des séquences particulièrement émouvantes ou capitales : elles sont surtout là pour éclairer l’état d’esprit d’Atsu et son lien essentiel avec le shamisen.
Laissons de côté la flûte, place au shamisen, qui peut être utilisée aussi bien au campement pour détendre l’atmosphère que devant des voyageurs, ou encore pendant nos pérégrinations pour provoquer certaines actions spécifiques. En effet, jouer des morceaux précis au shamisen permet de découvrir de nouvelles zones cachées, comme des terriers de renards ou des aires d’entraînement, voire même d’invoquer plus facilement notre compagnon canin pour attaquer des ennemis. Cette petite touche apporte des moments de sérénité là où on ne les attend pas. Nous nous sommes d’ailleurs surpris à jouer du shamisen – activable par un mouvement spécifique sur le pavé tactile – lors de balades à cheval.
Une véritable estampe japonaise
On ne va pas se mentir : le studio sait ce qu’il fait et le prouve à travers ses dernières démonstrations. Si vous ne les avez pas encore vues, sachez que les paysages proposés par Ghost of Yōtei sont tout simplement sublimes. Nous vous parlions d’immersion plus tôt : celle-ci est renforcée par une faune abondante – cerfs, grues ou encore chevaux sauvages parcourent les vastes plaines du jeu. Difficile de résister à l’envie d’utiliser le mode photo, qui, pour les amateurs, offre de nombreuses fonctionnalités très appréciables. Le monde est splendide, grouillant de vie et de couleurs chatoyantes, tandis qu’au loin la fumée s’élève, nous donnant envie d’aller y jeter un œil.
Toujours propulsée par le vent comme boussole, la carte de Ghost of Yōtei se révèle légèrement plus petite que celle de son prédécesseur, mais propose plusieurs régions, chacune avec sa propre histoire à raconter : un port animé par les échanges avec les Portugais, ou encore des environnements enneigés habités par le peuple peu connu des Aïnous. Malgré sa taille plus contenue, nous n’avons jamais eu l’impression de repasser au même endroit, tant chaque lieu possède une identité unique.
Avec autant de choses à voir, on regrettera tout de même le manque de véritables lieux iconiques à la manière du Temple d’Or, remplacé ici par la maison d’Atsu. Cela ne signifie pas que les environnements sont inintéressants : le bar des mercenaires, par exemple, propose une esthétique particulière, mais réserve peut-être moins de surprises que le premier opus. Pour autant, le titre exploite pleinement la puissance de la console pour offrir des panoramas parfois incroyables, notamment lorsqu’il nous demande de gravir la montagne. À la manière d’un Breath of the Wild, tout ce que vous apercevez peut être atteint. La comparaison ne s’arrête pas là : elle se retrouve également dans la construction narrative. En effet, comme dans le titre de Nintendo, vous pouvez affronter vos cibles dans l’ordre de votre choix, ou bien vous mesurer directement au grand méchant. Une liberté appréciable, en parfaite adéquation avec un personnage qui continue à se battre en mercenaire indépendante malgré les avances de nombreux clans.

Du côté de la bande-son, on retrouve des inspirations japonaises mêlées au son du shamisen, l’instrument fétiche d’Atsu. Assumant ses influences de Kurosawa – et plus particulièrement du film Yojimbo – la musique évoque parfois un far-west japonais. Intéressante mais peu marquante, on l’apprécie quand elle se fait entendre, mais elle reste discrète. Toujours côté musique, il est possible d’appliquer une playlist lo-fi en hommage à Nujabes, créée par Shinichirō Watanabe, connu pour son travail sur Samurai Champloo. Sur le principe, le clin d’œil est appréciable, même si nous avons trouvé qu’elle dénotait un peu trop avec l’ambiance générale du jeu.
Verdict
Si il y avait bien un jeu d’aventure en monde ouvert à avoir sur PlayStation 5, Ghost of Yōtei pourrait remplir ce rôle. Véritable épopée dans les débuts de l’ère Edo, Sucker Punch signe une nouvelle lettre d’amour à la culture japonaise. Poussant toujours plus l’idée de l’immersion, nous nous immergeons complètement dans cette nouvelle région avec cette terrible envie d’y revenir. On regrettera toutefois que les combats soient un peu trop similaire au premier, que certaines quêtes trainent en longueurs ou encore d’avoir cette impression de déjà vu, mais il est si difficile de quitter ses paysages qu’on lui pardonnera ces quelques défauts. Ghost of Yōtei est une pépite visuelle qu’il nous tarde de relancer et d’explorer.
Points forts
- Un monde très immersif
- L'utilisation du retour haptique de la manette
- Les expressions faciales améliorées
- Une époque sublimée
- Des personnages marquants
Points faibles
- Un gameplay trop similaire au premier
- Une histoire un peu moins épique
- Une bande son moins marquante
- Beaucoup d'allers-retours malgré une carte plus petite