À l’heure où nous écrivons ces lignes, The Sinking City est malheureusement dans la tourmente : non pas pour son gameplay ou sa proposition scénaristique mais quant à son portage sur PC et des désaccords entre le studio de développement, Frogwares, et l’éditeur, Nacon/BigBen Interactive. Si cette malencontreuse histoire a fait couler de l’encre ces dernières semaines (et même chez nous grâce une interview exclusive avec le CEO de chez Frogwares), on a décidé de s’intéresser tout aussi bien au produit en lui-même. Malgré sa sortie l’année dernière sur PS4 et Xbox One, The Sinking City et Charles Reed n’ont pas dit leur dernier mot. Le soft est récemment arrivé sur PS5. On a donc décidé de partir pour Oakmont, Massachussets, afin de faire la lumière sur les mystérieuses affaires du culte de Chtulhu en place et surtout sur le portage du titre sur la dernière console de chez Sony.
Test réalisé sur PS5 grâce à une copie numérique Deluxe envoyée par l’éditeur
« L’extraordinaire est une chose, le mystère en est une autre »
Si The Sinking City tient autant de l’extraordinaire, grâce à son gameplay mélangeant des éléments surnaturels, qu’il met en scène la préexistence du/d’un mystère et de sa résolution, notamment via le scénario, il n’en reste pas moins une combinaison intéressante des deux. Au vu des nombreux titres Sherlock Holmes proposés par le studio de développement, Frogwares semble avoir un attrait profond pour le personnage d’Arthur Conan Doyle (à qui l’on doit la citation ci-dessus). Pour autant, c’est vers un autre esprit littéraire tout autant connu qu’ils se sont dirigés pour traiter l’univers et le scénario de The Sinking City. On veut bien évidemment parler de Lovecraft, cela saute aux yeux dès les premières minutes de jeu et dès que l’on entend parler du culte de Chtulhu lors de l’aventure. Ainsi, le studio s’éloigne du terre à terre et du réalisme déjà présents dans leurs précédentes propositions vidéoludiques afin de proposer une aventure plus extraordinaire, surnaturelle, mystique et faisant très sincèrement froid dans le dos par moments.
[…] Des emprunts à deux grands noms de la Littérature et deux ambiances différentes pour un savant mélange qui fait mouche sur plus d’une vingtaine d’heures, voilà un pari osé mais tout à fait réussi pour Frogwares […]
N’abandonnant tout de même pas la figure du détective privé, dans The Sinking City, les joueurs et les joueuses incarnent Charles Reed. Ancien marin à bord de l’USS Cyclops durant la Deuxième Guerre Mondiale, et rescapé d’un tragique accident en mer le laissant pour seul survivant, le nouvel homme au deerstalker (fameuse casque de Sherlock Holmes) se retrouve en proie à de nombreuses visions empruntes de folie et surtout l’heureux/malheureux détenteur de pouvoirs surnaturels d’observation. Devenu enquêteur privé depuis lors, il s’engage dans un long périple à Oakmont à la recherche de la vérité et afin de savoir d’où lui proviennent ces visions, faits psychiques étranges dont les habitants de la ville du Massachusetts semblent eux aussi atteints. Dès les premières minutes de jeu et lorsque l’on débarque à Oakmont, on sent qu’il y a anguille sous roche (si vous nous permettez ce trait d’humour assez facile) : les différents bâtiments sont rongés par l’écume et criblés de roches vivantes coralliennes, alors que les hommes et femmes y habitant ont, pour certain, un visage de poisson et vous font tous bien sentir que vous êtes un étranger et pas nécessairement le bienvenu. L’accueil étant des plus froids, Charles Reed entend quand bien même faire la lumière sur cette affaire, et ce quoi qu’il en coûte pour lui, sa santé mentale et les conséquences en général.
Suite à l’Inondation, un phénomène paranormal lors duquel les flots ont envahi et rongé la ville, des cas de démence ont été diagnostiqués et la population en fait les frais tant du point de vue économique que physique et psychologique. Créant également des dissensions fortes entre plusieurs communautés de personnes et au sein même des forces politiques et de l’ordre. Un Mal encore inconnu et tout à fait mystique semble tout aussi bien posséder les hommes et les femmes, les menant alors à des fautes graves et impardonnables, et les rassembler autour de forces occultes dans des sectes et groupes. Autant de mystères extraordinaires et surnaturels qui plongent Oakmont dans une folie sans nom.
C’est dans ce contexte, qui n’est pas sans rappeler les écrits de Lovecraft, que nous sommes plongés dans l’aventure aux côtés de Charles Reed. Comme dit précédemment, l’enquêteur privé est amené à découvrir la source du Mal rongeant la ville et sa population. Pour cela, il devra mener plusieurs affaires, c’est à dire 9 au total sans compter les missions annexes, aussi bien sur la terre ferme que dans les eaux troubles environnants Oakmont. Ce qui l’amènera à rencontrer des personnes à la morale plus que douteuse, des personnalités fortes de la ville, mais aussi des créatures atroces et aquatiques (intitulées « malbêtes ») ayant pris possession de certains lieux. Dans tous les cas, The Sinking City parvient avec ingéniosité à mélanger enquête à la Sherlock Holmes et un côté survival-horror imprégné de l’univers de Lovecraft. Des emprunts à deux grands noms de la Littérature et deux ambiances différentes pour un savant mélange qui fait mouche sur plus d’une vingtaine d’heures, voilà un pari osé mais tout à fait réussi pour Frogwares.
« Plutôt que l’amour, que l’argent, que la gloire, donnez-moi la vérité »
Le philosophe, naturaliste, penseur à l’origine de la Désobéissance Civile, Henry David Thoreau avait sa propre vision de la vie, selon la citation indiquée au dessus. Charles Reed semble partager, quelque peu, cette façon de penser : loin de vouloir être un détective privé de renom, sans pour autant dire non à certaines récompenses, notre enquêteur est prêt à tout afin de mettre la main sur la vérité. Et c’est tant mieux car « tout », voilà ce qu’il devra faire. Dans The Sinking City, on retrouve ce qui fait l’essence des opus Sherlock Holmes du même studio de développement : des énigmes à résoudre, un travail d’observation et de déduction à réaliser, des indices à relier… A cela est mélangé des éléments surnaturels comme l’Œil de l’Esprit lui permettant de percevoir des scènes du passé, avant de les reconstruire par déduction, et mettre au grand jour des illusions d’optiques cachées aux yeux du commun des mortels ou encore suivre des indices visuels (poulpes, personne, corbeau) le guidant. Autant dire que cela semble facile sur le papier, mais il n’en est rien en réalité. The Sinking City ne sera pas forcément très tendre durant les premières heures de jeu, et surtout pour les nouveaux venus car résoudre chaque affaire n’est pas aussi facile que l’on pourrait le penser. Même en difficulté la plus basse, il faudra se remuer les méninges pour faire les liens nécessaires afin d’avancer dans une enquête. À cette image, ne comptez pas sur une mini-carte et des objectifs donnés par le jeu : c’est à chacun de construire le parcours pour démêler le vrai du faux. Par exemple, bien souvent, vous devez trouver une personne en particulier. Vous n’aurez alors que son nom ou le fait dont il a été victime/dont il est le suspect. Il faudra alors se rendre aux archives d’un lieu (commissariat, hôpital etc) afin de relier toutes les données en votre possession et trouver un nouvel indice sur le sujet désiré. Dans la même idée, si vous connaissez l’adresse d’une personne, grâce à des indications telles que « dans Advent, au croisement entre X avenue et X rue », c’est à vous de positionner le point au bon endroit sur votre carte. Une gymnastique qui requiert un peu de logique et réflexion au début mais qui devient vite une habitude par la suite. Cela a le don de rendre le tout réellement intéressant pour le joueur, prenant et immersif.
Là où The Sinking City se détache des Sherlock Holmes est via son traitement de la folie et de l’horreur. Si dans chaque affaire, il sera nécessaire de rendre à d’un point A à un point B afin de parler à une personne en particulier ou bien enquêter sur une scène de crime, les joueurs seront également amenés à se battre contre des monstres aquatiques sorties tout droit d’un imaginaire horrifique mais d’un bestiaire plutôt restreint en soi. Pour cela, vous pourrez compter sur un arsenal d’armes correct, sans pour autant être exponentiel. Attention tout de même, les munitions sont une denrée rare bien que craftables à l’aide de ressources dans le menu. D’ailleurs, à chaque issue de combats ou scènes horrifiques, Charles Reed perdra de plus en plus de sa santé mentale, favorisant alors l’apparition de visions de folies à droite de l’écran. Celles-ci peuvent à la fois représentées la mort du protagoniste comme des images des créatures en elles-mêmes se mouvant jusqu’à vous attaquer, brisant en quelque sorte le quatrième mur, ou encore des hallucinations. Ces séquences, incrustées comme en surimpression, sont réellement des plus angoissantes et vous feront froid dans le dos à coup sûr, à moins que vous soyez des aficionados de films/jeux d’horreur à vous glacer le sang. Sans oublier, bien évidemment, les manifestations de sectes aux forces occultes et leurs représentations via des fresques mystiques, des symboles étranges dessinés au sol sur les murs. Il n’y a pas à dire, l’équipe de Frogwares arrive à nous faire percevoir toute l’horreur des événements via le traitement des ambiances et modélisations des lieux. D’autant plus que les fonds marins ne sont pas non plus de tout repos car ils abritent des créatures encore plus monstrueuses (sortes de poulpes géants, tentacules sortant des profondeurs) et des lieux angoissants. Notez tout de même que The Sinking City est un jeu en monde semi-ouvert, vous pourrez ainsi flâner d’un quartier à un autre sur la terre ferme (à vos risques et périls, bien entendu) mais les zones sous marines sont plutôt linéaires.
Si le savant mélange entre l’esprit Sherlock Hommes et l’ambiance Lovecraftienne fait des merveilles, le système de commandes du titre de Frogwares n’est pas si innovant et il se veut relativement intuitif dans l’ensemble : L2 pour viser, R2 pour tirer, l’accès à une roue des armes et autres items. Le menu in-game permet quant à lui de lire les connaissances acquises ou bien consulter son carnet de notes grâce à des documents récupérés ci et là. Le palais mental (comme dans les jeux Sherlock Holmes) est quant à lui un espace pour relier les différents indices et faire des déductions. On notera à ce propos que certaines fois nous sommes amenés à faire des choix au sujet de la résolution d’une affaire : dire la vérité ou mentir, sauver cette personne et sa famille ou non, accuser quelqu’un ou pas… Cette faculté de choisir est assez convenue dans le milieu du jeu vidéo mais peut être pas assez mise en exergue ici, tant la suite des événements ne semble pas changer aussi drastiquement que l’on pourrait le croire au premier abord. Ce n’est seulement qu’à la fin de l’aventure que vous serez véritablement amené à faire un choix décisif. Pour autant, ne vous méprenez pas, le scénario reste intéressant à suivre. Tout du long, nous avons été animés par le désir d’en savoir toujours plus et de mettre le point final à toute cette histoire.
Des ombres et éclaircis au tableau
Approché d’abord sur PS4 au moment de sa sortie sur la console, nous avons pu un tantinet comparer les deux versions du jeu. Et il n’y a pas photo, la mouture PS5 est beaucoup plus agréable à l’œil et la technique de la console permet un bon rendu général, avec notamment de la 4K et du 60 FPS. Même si les cinématiques pures nous ont semblé un peu en deçà à cause d’un effet de flou totalement voulu de la part des développeurs, on a été franchement surpris par la qualité visuelle proposée lors des dialogues. Pour chaque dialogue, nous avons accès à une alternance de point de vue entre les deux interlocuteurs et souvent un gros plan ou plan moyen. Dans les deux cas, le rendu visuel est franchement réaliste et bien détaillé : on perçoit la fatigue dans les yeux de Charles Reed alors que l’on remarque les imperfections de la peau chez l’un et davantage de détails sur le visage d’un autre. Autant dire que sur ce point, c’est réellement bien réussi et cela favorise un plus grand sentiment d’immersion et de réalisme. Les environnements et différents paysages profitent eux aussi d’un soucis du détail et d’une bonne modélisation, comme dit précédemment. En revanche, cette qualité visuelle est un tantinet moindre lors des séquences où l’on contrôle Charles Reed. Ce qui est relativement explicable par la mise en mouvement des éléments et des personnages.
À propos des personnages, on notera tout de même que l’IA n’est pas totalement convaincante. Bien que les rues et quartiers d’Oakmont soient peuplés de différents personnages, appartenant à diverses communautés (on pense aux hommes/femmes poissons, aux Throgmortons ou encore aux PNJ dont les vêtements laissent présager qu’ils appartiennent à une secte), on est pas aussi ébahi devant cette simulation de vie. Les PNJ semblent cantonnés à seulement une poignée d’actions et bien souvent les scènes se répètent d’une zone à une autre : vous verrez plusieurs fois un personnage attaquer un autre à terre, d’autres se contentant de marcher, etc. Malheureusement, dans certains cas, les mouvements de ces derniers sont très mécaniques ou d’autres semblent glisser sur le sol alors que vous arrivez devant eux. On a ainsi noté plusieurs soucis de ce côté là. Sans pour autant casser totalement l’immersion, cet aspect aurait mérité probablement un peu plus peaufiné tant les animations manquent parfois d’un peu de punch et de réalisme.
Pour en revenir à la version PS5, notons que nous avons eu accès à l’édition Deluxe, nommée Necronomicon, comportant des items pour Charles Reed (soins, antipsychotiques, munitions) mais donnant aussi accès à certaines missions annexes ajoutées via les DLC, tel que Worshippers of the Necronomicon et Merciful Madness. Une édition donc bien complète qui permet de prolonger le plaisir pendant une petite poignée d’heures supplémentaires, en plus de la vingtaine nécessaire pour finir le jeu de base. Mais là où la PS5 fait véritablement des merveilles, en plus de la qualité graphique dans certains cas, réside dans le fer de lance de la console : les temps de chargement. Avec The Sinking City sur PS5, vous pouvez pratiquement dire adieu aux temps de chargement, le tout étant réellement rapide et se chargeant en seulement quelques secondes. Même si cet argument semble servi à toutes les sauces dans tous les tests de jeux sur PS5, il convient de le noter tant il apporte un confort franchement plaisant. Durant toute notre aventure, nous n’avons pas été victime de freeze, bugs ou crash d’application. Pour autant, nous avons expérimenté un peu de clipping et d’aliasing par moments, et encore, ceci très rarement. Par contre, nous avons été un peu plus déçus au sujet des fonctionnalités DualSense qui se manifestent seulement quand on vise/tire sur un ennemi ou au moment de l’utilisation d’objets de soin. Les vibrations sont quant à elles un peu timides, en général.
Verdict : 8/10
Sur PS5, The Sinking City profite d’une version plus peaufinée et d’une plus grande élégance visuelle. Le système technique même de la console rend l’aventure beaucoup plus plaisante et confortable, tant les problèmes ne sont que peu nombreux et les temps de chargement bien réduits. Mélangeant un gameplay ressemblant aux Sherlock Holmes et un scénario plongé dans l’horreur de type Lovecraftienne, The Sinking City est une belle découverte qui saura autant vous faire froid dans le dos par moments que vous émerveiller à d’autres. On ne pourrait que vous conseiller de partir à la découverte d’Oakmont, si vous êtes amateur/amatrice de jeux d’action-aventure avec des énigmes et une atmosphère saisissante.
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