Ryu Ga Gotaku, ou encore Yakuza chez nous, peut-être cela vous dit-il quelque chose ? Avant même de devenir un « meme » par le biais de la chanson « Baka Mitai » que l’on peut retrouver à profusion sur le net, Yakuza est avant tout une série qui sévit depuis l’ère de la PlayStation 2. Un pari fou tenté par un grand nom de la sphère vidéoludique japonaise, un certain Toshihiro Nagoshi, personnage charismatique et sulfureux. Pour nous, Victor Moisan et Third Editions décortiquent l’entièreté de la saga et transgressent sur quelques projets annexes pour nous expliquer le pourquoi du comment de Yakuza et son évolution constante au travers des années pour aboutir à la licence que nous connaissons aujourd’hui et dont la popularité est en croissance perpétuelle.
Article rédigé grâce à un exemplaire de l’ouvrage fourni par l’éditeur.
Voilà maintenant 15 ans que la licence Yakuza bat son plein. Débutée sur PlayStation 2 le 8 décembre 2005, la série a connu depuis une sortie quasi annuelle. Entre épisodes canoniques, spin-off et les récents remakes, Toshihiro Nagoshi et ses équipes ont doucement mais sûrement hissé Ryu Ga Gotoku (Yakuza) comme une saga dont chaque sortie est de plus en plus anticipée par une bonne partie du globe – pour exemple le dernier épisode en date, Yakuza: Like a Dragon, dont la communication publicitaire s’avère bien plus agressive, même en Occident. Pourtant, cela ne fût pas chose aisée pour Nagoshi de convaincre l’éditeur SEGA de lui donner carte blanche.
Victor Moisan, ayant déjà écrit pour divers médias sur les sujets du jeu vidéo et du cinéma, nous livre ici son tout premier ouvrage pour faire la lumière sur cette saga atypique nous venant tout droit du pays du soleil levant, mais aussi sur le parcours personnel de Toshihiro Nagoshi, l’histoire de SEGA et la volonté de faire de Yakuza une série qui procurera aux joueurs une immersion totale dans la vie nippone contemporaine et le monde de la pègre qui en aura fasciné plus d’un.
- Titre : La Saga Yakuza : Jeu Vidéo Japonais au Présent
- Auteur : Victor Moisan
- Éditeur : Third Editions
- Illustration de couverture : Dara
- Nombre de pages : 328
- Prix : 29.90€ (acheter)
Une vie, une histoire
Après une brève introduction sur les grandes lignes que le livre analysera sur un peu plus de 300 pages, Victor Moisan nous propose une petite biographie sur la personne et le parcours de Toshihiro Nagoshi. D’ailleurs, l’auteur utilise Nagoshi tout au long, ou presque, de son analyse comme le personnage central. Car pour comprendre Yakuza, il faut comprendre Toshihiro Nagoshi en premier lieu. Ce serait comme vous parler de Metal Gear sans placer Hideo Kojima au cœur du projet. Un incontournable. Celui qu’on connaîtra en interne de SEGA comme le « Roi des jeux de Courses » est né en 1965 d’une famille modeste à Shimonoseki (préfecture de Yamaguchi). Le jeune Toshihiro ne connaitra pas une enfance des plus heureuses. En grandissant, Nagoshi développera un goût tout particulier pour le cinéma et les thrillers des années 70 qui, bien plus tard, inspireront en partie l’esthétique et la narration de Yakuza. Il embrasse le désir de réaliser des films mais malheureusement le monde du cinéma japonais est en déclin. Il découvrira le monde des jeux vidéo quand sa conjointe de l’époque lui offrira une Famicom (NES) ainsi que Super Mario Bros. C’est la consécration pour Nagoshi qui se verra captivé par ce média – même s’il n’abandonne pas l’idée de s’adonner au septième art. Sans trop y croire, Toshihiro Nagoshi se présente aux bureaux de SEGA en 1989 en recherche de travail.
Pour être honnête, je me suis rendu à l’entretien dans le seul but d’avoir un souvenir à raconter. Mais pour une raison que j’ignore encore, ils m’ont engagé sur-le-champ.
Les premiers temps pour Nagoshi ne seront pas des plus faciles pour le jeune talent. Aucune connaissance dans l’informatique – c’est à peine s’il sait comment utiliser un ordinateur – Nagoshi ne semble pas s’épanouir et songe à démissionner. Cependant, ses connaissances dans le monde cinématographique lui permettront de sortir d’une routine morose, comme l’explique Victor Moisan dans son ouvrage, et d’accéder à des tâches beaucoup plus attractives. Le livre conte, bien évidemment, la rencontre et les conditions de travail entre Nagoshi et Yu Suzuki, alors super star au sein de SEGA. Une relation de « Je t’aime, moi non plus », Toshihiro Nagoshi pointant l’égocentrisme de son mentor mais aussi son côté visionnaire à bien des égards – l’expérience Shenmue qui aura coûté cher à la firme japonaise participant des grandres influences pour la suite de la carrière de Toshihiro Nagoshi. La Saga Yakuza : Jeu Vidéo Japonais au Présent ne manque pas d’informations et d’anecdotes croustillantes sur Nagoshi et sa personnalité. Son goût pour le luxe et la mode, pour la provocation aussi bien dans les thématiques choisies que pour le nom de certaines de ses équipes – les initiales de feu Amusement Vision faisant clairement référence au monde de la vidéo pour adulte au Japon.
Yakuza : cimetière de la morale et théâtre de l’ordinaire
L’ouvrage de Victor Moisan s’attardera sur chaque épisode depuis ses débuts en 2005 jusqu’au tout récent Yakuza: Like a Dragon sorti plus tôt cette année au Japon et le 10 novembre chez nous. S’enchaînent extraits d’interviews et biographies que Moisan synthétise brillamment. La grande partie des affirmations sont sourcées avec des annotations en bas de page renvoyant vers divers articles, vidéos et ouvrages internationaux. Yakuza veut offrir une expérience « réaliste », voire l’anti-GTA. Même s’il reconnaît les atouts de la licence de Rockstar, Nagoshi reste tout de même très critique envers sa définition du jeu « adulte » de par l’utilisation de la violence à outrance. Pour le concepteur japonais, l’utilisation du « cadre » est plus important que la tuerie de masse. Comme le pointe très justement Victor Moisan, les meurtres ne sont pas légion dans Yakuza. Nagoshi mise principalement sur l’ambiance et les thématiques offertes par le monde contemporain ainsi que celui de la pègre. Jeux d’argent, alcool, érotisme… autant de facteurs que Toshihiro veut intégrer dans sa licence au détriment de l’ultra violence. Pour le créateur de la saga, notre monde contemporain est violent par nature. Il se veut aussi l’anti-GTA en prenant le contre-pied de la démarche de Rockstar. Là où la firme américaine se veut offrir une réelle sensation de liberté au travers de son gameplay bac à sable, Nagoshi s’engouffre dans un environnement beaucoup plus restreint, voire répétitif, favorisant la narration tel le cinéphile qu’il est. Nagoshi veut également briser les codes en rigueur lorsque qu’un jeu de cette envergure veut s’exporter vers l’Occident : instaurer son action dans une ville américaine avec un protagoniste américain. Un bras de fer face à SEGA qu’il finira par gagner, non sans l’aide de d’autres grands noms comme Masayoshi Kikuchi (Panzer Dragoon), voulant absolument ancrer son histoire dans le Japon qu’il côtoie quotidiennement avec pour héros un véritable Japonais – bien que les prémisses eurent suivis ces fameux codes.
Victor Moisan passe au peigne fin les divers épisodes, mettant en lumière les nouvelles contraintes avec lesquelles Nagoshi et ses équipes doivent jongler face au succès grandissante de la série et les impératifs de SEGA qui demande parfois aux équipes des temps de développement dans un laps de temps record. Les divergences sont aussi de la partie quand Ryu Ga Gotoku Kenzan!, premier spin-off prenant place dans un Japon féodal, rencontre un tel succès que les équipes refusent de se lancer dans la conception de Yakuza 3 pour donner naissance à la suite de l’épisode spin-off à succès. D’ailleurs, il est fort appréciable de constater que Victor Moisan ne se sera pas cantonné qu’aux épisodes canoniques pour son ouvrage, mais également aux spin-off dont – hormis Dead Souls et le récent Judgement – beaucoup sont inconnus chez nous du fait d’une sortie exclusive au Japon. Ainsi vous aurez accès à quelques informations supplémentaires sur des épisodes Kenzan! et Ishin!, respectivement sortis sur PlayStation 3 et PlayStation 4, mais aussi quelques titres un peu plus obscurs comme Kurohyō: Ryū ga Gotoku Shinshō et Kurohyō 2: Ryū ga Gotoku Ashura Hen, uniquement disponibles sur PSP et dont l’ambiance dérive quelque peu de celle des Yakuza au profit des gangs de rues. Histoire de boucler la boucle, un aparté sur deux autres productions de Ryu Ga Gotoku Studio : Binary Domain ainsi que Fist of the North Star: Lost Paradise (aussi connu au Japon sous le nom de Hokuto Ga Gotoku). Choix surprenants mais cruciaux pour comprendre la philosophie de la série Yakuza et comment des tentatives dans Binary Domain ont pu impacter les choix futurs sur le développement de la licence jusqu’au tout récent Yakuza: Like a Dragon et, à l’inverse, comment les années de savoir-faire de Ryu Ga Gotoku ont influencé la réalisation du jeu Hokuto no Ken.
Pour terminer sur l’ouvrage en lui-même, encore une fois chez Third Editions, il est de très bonne facture. Couverture cartonnée avec une jolie illustration non sans rappeler le « Dragon de Dojima » arboré par Kiryu Kazuma dans son dos. La mise en page de l’œuvre est qualitative, ce qui rend les analyses de Victor Moisan agréables à parcourir. Malgré plus de 300 pages, la taille de la police nous a semblé un poil supérieur à certaines productions passées de Third Editions. À titre de comparaison, La Légende Final Fantasy VII : Création-Univers-Décryptage semble afficher une police plus petite malgré un contenu d’un peu plus de 200 pages. La Saga Yakuza : Jeu Vidéo Japonais au Présent se divise en quatre chapitres principaux, eux-mêmes subdivisés en sous-parties. En guise de rideau final, vous trouverez une carte du Japon avec les villes principales mais aussi les lieux clés des divers épisodes de Yakuza indiqués. S’en suivent un récapitulatif des différentes sources, les remerciements et pour finir un index. Une lecture agréable dans son ensemble, décuplée si vous vous intéressez un minimum à la saga Yakuza. Bémol que nous pourrions mettre en avant, encore une fois Third Editions fait l’impasse sur la présence d’illustrations à l’intérieur de son ouvrage. Même si les parties sont relativement bien découpées pour permettre une lecture fluide sans trop avoir le sentiment de se farcir des pavés de textes, il aurait été appréciable de voir le livre agrémenté de quelques illustrations, même non-officielles, afin d’embellir le tout et d’épurer encore un peu plus la lecture.
Verdict : c’est oui, monsieur !
Au final, ce sont plus de 300 pages d’analyses, d’anecdotes et de portraits sur Toshihiro Nagoshi, d’autres grands noms de chez SEGA et divers acteurs compilés par Victor Moisan avec brio. Grâce à La Saga Yakuza : Jeu Vidéo Japonais au Présent, l’univers de la franchise débutée en 2005 pratiquement sur un coup de poker n’aura bientôt plus de secrets pour vous. L’ouvrage est complet et on apprécie que l’auteur ne se soit pas contenté des épisodes canoniques mais aussi des divers spin-off, adaptations et autres productions de Ryu Ga Gotoku Studio au fil des années pour pouvoir cerner l’évolution de la série dans son ensemble. Avec la sortie de Yakuza: Like a Dragon en ce moment même, ce livre est le compagnon parfait.
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